Les Zélés 
  • Accueil
  • Notre loge
  • Réflexions d'intérêt général
    • Publications
    • Conférence / Exposition
  • Les blogs des Zélés
    • Revue de presse
    • Revue littéraire
  • Questions sur la franc-maçonnerie
  • Comment devenir franc-maçon?
    • Les démarches
  • Quelques liens
  • Contact

Communiqué de presse du GODF 8 mars 2024

3/11/2024

 
Aujourd’hui est la journée internationale des droits des femmes.
S’il importe aux francs-maçons du Grand Orient de France de célébrer cette journée et d’honorer particulièrement l’autre moitié de l'humanité, il leur importe tout autant de faire de chaque jour la journée internationale des droits des femmes, de faire de chaque jour le jour de l’humanité dans son entièreté. Car si celle-ci est parfois triomphante, elle est souvent résiliente et plus encore souffrante.
Nombreux sont les territoires où cette humanité est maltraitée, accablée, humiliée, enchaînée, annihilée. Et de cette humanité aux fers, la part des femmes, hélas, est prépondérante, et leur martyrologe un rouleau sans fin écrit en lettres d’infamie : femmes emmurées d’Afghanistan, femmes torturées et assassinées d’Iran… et partout dans le monde femmes dominées, femmes humiliées, femmes battues, femmes violées, femmes tuées, c’est le thrène quotidien, ininterrompu.
C’est pourquoi le 4 mars 2024, jour où les parlementaires français réunis en Congrès votèrent la constitutionnalisation du droit à l’IVG, restera comme une inscription majeure dans l'Histoire de l’émancipation des êtres humains et de la condition féminine. Les pionnières furent nombreuses, de Lysistrata à Sapho, d’Émilie du Châtelet à Olympe de Gouges, de Virginia Woolf qui dans deux ouvrages retentissants réclamait « une chambre à soi » et célébrait la grandeur des tâches domestiques à la condition qu’elles soient équitablement partagées, jusqu’à Gisèle Halimi et aux deux Simone, Veil et Weil.
Ce mouvement irrésistible d’émancipation est irréversible et universel, malgré les ayatollahs, les mollahs, les talibans, les hypocrites misogynes et réactionnaires, les plus odieux phallocrates et autres tenants de patriarcats rétrogrades.
Aussi pour le Grand Orient de France, c'est tous les jours le 8 mars. C’est tous les jours la journée internationale des droits des femmes. C’est tous les jours la journée internationale de l’humanité.
Et c’est donc à nous, francs-maçons du Grand Orient de France, dans nos loges et à l’extérieur de nos temples, de perpétuer cette tradition admirable, de continuer à tisser la grande toile d’une humanité apaisée et rassemblée.

Lettre aux professeurs d’histoire-géographie

3/5/2024

 
Ou comment réfléchir en toute liberté sur la liberté d’expression
par François Héran, sociologue
Publié dans laviedesidees.fr, le 30 octobre 2020.
Comment enseigner la liberté d’expression ? Par son histoire, propose François Héran, moins républicaine qu’on ne croit et plus respectueuse des croyances. Au lieu d’en faire un absolu, il est temps d’observer que ses conditions d’exercice se déploient dans un temps et un espace déterminés.
Des professeurs d’histoire-géographie m’ont consulté au sujet du cours d’éducation civique et morale qu’ils devront dispenser à l’issue des vacances de la Toussaint. Comment rendre hommage à Samuel Paty, odieusement assassiné le 16 octobre par un jeune djihadiste tchétchène parce qu’il avait commenté en classe des caricatures de Mahomet ? Quel sens donner à la liberté d’expression ? Comment défendre les valeurs républicaines sans nous isoler du reste du monde ? Certes, les enseignants bénéficieront du « cadrage » préparé par l’Éducation nationale. Certes, ils pourront s’inspirer du fervent hommage rendu par le président Macron dans la cour de la Sorbonne. Et, s'ils le souhaitent, ils pourront revenir sur la lettre de Jean Jaurès aux instituteurs. Mais, si la liberté d’expression nous est chère, nous devons pouvoir lui appliquer aussi notre libre réflexion, à condition de l’appuyer sur des données avérées. C’est le sens des conseils que je me permets de donner ici.

Retour aux textes
Premier conseil : faire découvrir aux élèves des textes « républicains » restés un peu dans l’ombre ces derniers temps. Plus souvent citée que lue, la lettre de Jules Ferry aux instituteurs posait des limites à l’enseignement de la morale : « Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment » (17 novembre 1883). En pleine discussion de la loi sur l’obligation scolaire et la laïcité de l’école primaire publique, Ferry était allé plus loin encore : « Si un instituteur public s’oubliait assez pour instituer dans son école un enseignement hostile, outrageant pour les croyances religieuses de n’importe qui, il serait aussi sévèrement et rapidement réprimé que s’il avait commis cet autre méfait de battre ses élèves ou de se livrer contre eux à des sévices coupables. » (11 mars 1882). Vous avez bien lu : outrager les croyances religieuses des élèves, c’est aussi grave que de leur infliger des châtiments corporels ou abuser d’eux.
Faut-il en conclure que toutes les religions méritent le respect ? Oui, répond l’article 1er de la Constitution de 1958 : « La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » La dernière phrase peut choquer dans le contexte actuel. Certains rêvent peut-être de la modifier et d’affirmer que la République « ne respecte aucune croyance». Mais, pour l’heure, tel est bien le texte de notre constitution.
Quid, alors, de la « liberté d’expression », cette valeur suprême de la République ? Avec tout le tact nécessaire, vous expliquerez aux élèves que la législation française ne consacre pas littéralement la « liberté d’expression » : la loi de 1881 porte sur la liberté de la presse. D'autres textes évoquent la liberté d’opinion ou de conscience. Mais la « liberté d’expression » va plus loin, elle inclut tous les thèmes et les supports possibles, tout en revêtant une dimension plus individuelle. Ses contours sont si indéfinis qu’elle est presque synonyme de liberté tout court. Comme l’attestent les bases de données du vocabulaire français dressées à partir des millions de textes imprimés depuis 1730, « liberté d’expression » ne décolle dans le vocabulaire juridique et le langage courant qu’à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Elle était inconnue sous la IIIème République : on l’employait dans un sens esthétique (« peindre un sujet avec une grande liberté d’expression »). La notion est encore absente de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948) : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu'en privé (…). »
Ce n’est pas avant 1950, dans l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, qu’apparaît la locution « liberté d’expression », traduite de l’anglais freedom of expression. On s’imagine que nos plus hautes valeurs sont toutes d’origine « républicaine » et ne doivent rien au monde anglo-saxon, volontiers traité en repoussoir. C’est inexact et les élèves doivent le savoir. La « liberté de la presse » elle-même n’est pas fille de la Révolution française, encore moins de la loi de 1881 : on la doit au Virginia Bill of Rights, la Déclaration des droits de Virginie, promulguée en 1776, d’où elle gagnera le reste des États-Unis, puis le monde occidental.
Droits et devoirs de la liberté d’expressionSur la liberté d’expression, on lira avec profit, à condition de la compléter, la tribune récente (Le Monde du 26 octobre) de Christophe Bigot, spécialiste du droit des médias et avocat de groupes de presse. Il cite le fameux arrêt Handyside, rendu le 7 décembre 1976 par la Cour européenne des droits de l’homme : « La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve des restrictions mentionnées notamment dans l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur, ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’y a pas de société démocratique. » Si l’on veut honorer la mémoire de Samuel Paty, conclut l’avocat, voilà un « idéal intangible ». Vous remarquerez au passage qu’il est question de démocratie et non de république. La République, en l’espèce, n’est qu’une variante de la démocratie.
Demandez alors à vos élèves de lire l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme : « Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière (…). » Mais voici le second alinéa : « L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui (…). »
La liste est longue des « devoirs et responsabilités » qui encadrent la liberté d’expression. Qui donc les définit ? Cela incombe à chaque pays. La Cour de Strasbourg ne juge pas à la place des États souverains, elle vérifie qu’ils régulent la liberté d’expression de façon « proportionnée » par rapport à leur propre législation et à l’état des mœurs. En l’espèce, l’arrêt Handyside de 1976 cité par Me Bigot concluait que les autorités britanniques n’avaient aucunement violé l’article 10 de la convention en ordonnant la saisie et la destruction d’un manuel d’éducation sexuelle pour enfants jugé contraire aux bonnes mœurs britanniques ! Il est donc paradoxal d’invoquer cet arrêt pour S’il doit retenir l’attention des élèves, c’est sur un point précis : la liberté d’expression peut inclure l'expression d’idées choquantes ou blessantes, mais toujours dans les conditions admises par la loi.

Liberté offensive ou tolérante ?
Mais alors, que répondre à un élève qui vous opposerait l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » ? Comme le souligne le politiste Denis Ramond (Raisons politiques 2011/4 et 2013/4), deux interprétations s’opposent : offensive ou tolérante. Dans la lecture offensive, celle de la Cour de Strasbourg, toute parole ou image, même offensante, alimente le débat public et, donc, sert la démocratie. Elle serait bénéfique pour tous, y compris pour la minorité offensée. Une telle position est typiquement « paternaliste » : l’auteur de l’affront sait mieux que ses victimes ce qui est bon pour elles ; il estime que la blessure sera effacée par le surcroît de lumières ainsi dispensé. À la limite, l’offensé devrait remercier l’offenseur de cette belle leçon de liberté, y compris quand le donneur de leçon est un chef d’État étranger. Vous inviterez vos élèves à illustrer les effets de cette théorie à l’aide d’exemples récents.
L’autre interprétation du droit de libre expression prend au sérieux le principe de non-nuisance affirmé en 1789 et le principe du respect des croyances posé en 1882 par Jules Ferry et rappelé dans la Constitution de 1958. C'est une interprétation foncièrement pluraliste. Sur la pluralité des valeurs, vos élèves liront avec profit le philosophe Paul Ricœur (entretien avec Anita Hocquard publié en 1996 dans Éduquer, à quoi bon ?) : « Nous ne vivons pas dans un consensus global de valeurs qui seraient comme des étoiles fixes. C’est là un aspect de la modernité et un point de non-retour. Nous évoluons dans une société pluraliste, religieusement, politiquement, moralement, philosophiquement, où chacun n’a que la force de sa parole. Notre monde n’est plus enchanté. La chrétienté comme phénomène de masse est morte […] et nos convictions ne peuvent plus s’appuyer sur un bras séculier pour s’imposer. […] Préparer les gens à entrer dans cet univers problématique m’apparaît être la tâche de l’éducateur moderne. Celui-ci n’a plus à transmettre des contenus autoritaires, mais il doit aider les individus à s’orienter dans des situations conflictuelles, à maîtriser avec courage un certain nombre d’antinomies. » Et Ricœur de citer trois exemples d’antinomies : préserver l’autonomie de chacun tout en entrant dans un espace public de discussion, appartenir à une tradition vivante sans exclure la présence d’autres traditions, avoir des convictions personnelles tout en pratiquant « une ouverture tolérante à d’autres positions que la sienne ». Il faudra expliquer aux élèves que le pluralisme selon Ricœur n’est pas synonyme de relativisme : c’est une valeur fondamentale de la démocratie.
Comment trancher entre ces deux visions de la liberté d’expression, l'offense charitable et le respect d’autrui ? Un procédé expéditif consiste à reformuler le dilemme en termes psychologiques ou moralisants : vous serez « courageux » si vous persistez à offenser l’autre, « lâche » dans le cas contraire. Apprenez donc à vos élèves à ne pas tomber dans un piège sémantique aussi grossier. Cessons de diviser la nation en taxant nos contradicteurs d’« ennemis de la République » ou d’« ennemis de la France » : c'est une façon indigne de les exclure du débat et de les exclure de la nation. Personne n'est propriétaire de la République. Nous avons encore le droit d’accorder un minimum de considération aux croyants ou incroyants sans être accusés de complaisance avec les assassins. Les fidèles musulmans habitués à diviser le monde entre croyants et « mécréants » devront d'ailleurs en tirer les conséquences : c’est au prix de cette révolution mentale qu'ils pourront s'intégrer à la nation. Vous rappellerez aux élèves que la Déclaration universelle des droits de l’homme affirme le droit de changer de religion ou de ne plus croire : c'est la raison pour laquelle l'Arabie saoudite a refusé d'y souscrire. Et si un élève trop cartésien cherchait à savoir pourquoi notre République laïque tisse des liens si forts avec le régime wahhabite, mieux vaut renvoyer la question à la cellule laïcité du rectorat.

Un conseil de Paul Ricœur aux éducateurs
 Un synonyme fréquent de la prétendue « lâcheté » de ceux qui osent prendre en compte l’existence d’autrui est la « complaisance » ou la « compromission ». Dans l’entretien déjà cité, Ricœur fournit l’antidote à ces sophismes : « Le compromis, loin d’être une idée faible, est une idée au contraire extrêmement forte. Il y a méfiance à l’égard du compromis, parce qu’on le confond trop souvent avec la compromission. La compromission est un mélange vicieux des plans et des principes de références. II n’y a pas de confusion dans le compromis comme dans la compromission. Dans le compromis, chacun reste à sa place, personne n’est dépouillé de son ordre de justification. » On peut appliquer cette leçon à l’accusation infamante de « complaisance » envers le djihadisme ou d’« islamo-gauchisme » – le type même de la formule magique d’exécration qui substitue l’injure à l’analyse et n’a pas sa place en démocratie. Intégrer l’existence d’autrui dans sa vision du monde, ce n’est pas pratiquer la haine de soi, c’est sortir de soi pour se grandir. À condition, bien sûr, que l’effort soit réciproque.
Dans un tweet diffusé à l’attention des pays musulmans, le président Macron écrit : « Nous continuerons. Nous nous tiendrons toujours du côté de la dignité humaine et des valeurs universelles ». Dignité étant effectivement le maître-mot, je ne vous conseille pas d’examiner une à une avec vos élèves les caricatures de Charlie Hebdo, mais plutôt de faire un cours sur l’histoire de la caricature politique et religieuse en France. Vos élèves comprendront qu’en ce domaine comme en d’autres, il y a le meilleur et le pire. Tout le monde n’est pas Daumier, Nadar ou Doré ou, de nos jours, Chappatte, Dilem, Pétillon ou Plantu. Le talent artistique de Cabu reste indépassé, de même que l’autodérision sur nos obsessions sexuelles chère à Wolinski. On connaît la Une de Charlie du 8 février 2006, où Cabu campe le prophète en pleurs s’écriant : « C’est dur d’être aimé par des cons ! », avec cette légende surimprimée : « Mahomet débordé par les intégristes ». La cible est clairement définie, alors que la caricature de Charb, « Une étoile est née », représentant Mahomet nu en prière, offrant une vue imprenable sur son postérieur, visait l’islam tout court. Les attentats, depuis, ont sacralisé toutes les caricatures sans distinction. Comment expliquer aux élèves que nous sommes arrivés au point où c’est justement quand la caricature est nulle, réduite à sa fonction la plus dégradante, sans dimension artistique, humoristique ou politique, qu’elle est censée illustrer à l’état pur la liberté d’expression et nos plus hautes valeurs républicaines, y compris l'affirmation de la dignité humaine ? À l’impossible nul n’est tenu.
À la question de savoir si j’ai encore le droit, au pays de la libre expression, de m’indigner du caractère offensant de certaines caricatures sans être accusé de haïr la République, la pesante atmosphère qui règne aujourd'hui me dit que non. Poussée à l’absolu, la libre expression ne tolère plus la libre critique. Les textes constitutionnels que j’ai cités ont beau évoquer le respect des croyances, on peut dire que les djihadistes ont atteint leur but : nous pousser à bout, ériger les caricatures en absolu, au risque d'isoler la France. Vos élèves liront avec profit le sage éditorial de Soulayma Mardam Bey dans le quotidien francophone libanais L’Orient-Le Jour (27 octobre 2020) : « Pour beaucoup de Français, les caricatures sont aujourd’hui le symbole même de leur identité. Pour beaucoup de musulmans au Moyen-Orient, elles sont la négation de la leur. Ce dialogue de sourds prend actuellement des proportions démesurées, chacun se drapant dans une conception puriste et quelque peu anachronique de qui il est, la République pour les uns, l’islam pour les autres, comme si l’une et l’autre, en plus d’être par nature inconciliables, répondaient de surcroît à des critères immuables, hermétiques au temps et à l’espace. »

De fait, il est tout aussi vain de camper sur l’unicité de la République, source exclusive de toute valeur, que de pousser à l’extrême l’idéologie politique de l’unicité en islam, la fameuse tawhid. Professeurs d’histoire-géographie, votre mission est justement de rappeler que nous sommes plongés dans le temps et dans l’espace, que nos valeurs les plus chères, y compris la liberté d’expression, ont une histoire souvent venue d’ailleurs, et que nous devons garder prise sur leur définition et leurs conditions d’exercice. Je sais : cette tâche dépasse vos forces et le «cadrage» officiel a ses limites. Mais si vous voulez faire de vos élèves des citoyens et, tout simplement, des adultes, apportez-leur tous les éléments du débat, comme j’ai essayé de le faire ici. Ne les enfermez pas dans des vérités toutes faites. Ils méritent mieux que cela.

Face aux oppressions, la liberté de se définir est la plus belle conquête de la laïcité

3/5/2024

 
Chronique intempestive
Par Henri Peña-Ruiz
Marianne, le 16/04/2021

« Aujourd’hui, la question de l’identité se trouve écartelée entre la mondialisation impérieuse et la montée communautariste. À rebours des oppressions traditionnelles, la liberté personnelle de se définir reste la plus belle conquête de la laïcité », rappelle Henri Peña-Ruiz, auteur du « Dictionnaire amoureux de la laïcité » (Plon, 2014).

Qu’est-ce que l’universel ? Une première définition résulte de la logique des ensembles. Trois termes permettent de quantifier le degré d’extension d’un caractère : universel, particulier, singulier. Est universel ce qui appartient à tous les individus d’un ensemble donné. Par exemple, tous les êtres humains sont des êtres de culture, munis de raison (homo sapiens). Est particulier ce qui concerne une partie des membres d’un ensemble. Par exemple, certains êtres humains sont adeptes d'une religion, d'autres de l'humanisme athée ou agnostique. Enfin, est singulier tout individu compris comme personne unique. Nelson Mandela a été un individu unique, singulier, par l'ensemble des qualités qui furent les siennes, notamment pour l'émancipation des Noirs. Les trois termes - universel, particulier et singulier - étant définis, on peut maintenant tenter de penser les questions qui importent à la réflexion pour comprendre le rapport entre laïcité et identité(s).
Chaque individu est donc unique, et singulier au sens littéral. La carte d'identité en témoigne : elle assure la possibilité de ne pas confondre un individu avec un autre. Un individu peut partager avec d'autres certains particularismes, tout en restant dépositaire des caractères universels de l'humanité. Singulier, particulier et universel sont donc trois aspects du même individu. Voyons l’identité de la personne. Qui suis-je ? Prenons l'exemple d'Ulysse, en grec « Odysseus ». C'est le rusé, l’homme « aux mille tours » de l’Iliade et de l’Odyssée. L'Odyssée, c'est son périple, le grand voyage de sa vie, après la victoire sur Troie. Un retour mouvementé à Ithaque, où l'attend Pénélope.


Mondialisation et communautarisme : une identité écartelée
Ulysse est-il encore le même après tant d'épreuves ? Selon Platon, dans le Mythe d’Er le Pamphylien, pas tout à fait. Au moment de choisir une nouvelle destinée, Ulysse prend celle d’une personne modeste, sans gloire ni pouvoir ni fortune. Ce choix de raison est inspiré par le souvenir de l’odyssée. Sagesse. Une idée forte, existentialiste : on se choisit, on se définit, plus ou moins librement certes, mais l’essence de chaque individu singulier est en suspens dans sa liberté, comme écrit Sartre. On se fait par son aventure existentielle et jusqu’au dernier souffle, on ne peut dire réellement ce que l’on est. Seule la mort transforme la vie en destin, et encore n'est-ce alors qu'une illusion rétrospective. Il n’est dès lors d’identité que narrative. En racontant l'Odyssée, on met en évidence le périple d'Odysseus comme vie singulière d'Ulysse.
« Tu trahis ta communauté » : telle est la condamnation par laquelle les islamistes refusent aux femmes la liberté de ne pas porter le voile. Aujourd’hui, la question de l’identité personnelle se trouve écartelée. D’un côté, une mondialisation impérieuse, voire inhumaine, qui exalte l’individualisme tout en le canalisant par des conditionnements publicitaires et idéologiques uniformisants. De l’autre, les compensations identitaires apparentes que proposent des religions à nouveau avides de pouvoir politique et de restauration de traditions rétrogrades. À l’identité personnelle que chacun est libre de se définir, semble s’opposer l’identité collective d’un groupe humain qui attend des individus qui le composent une soumission inconditionnelle, au nom de la solidarité du groupe. La notion même d’identité collective consacre une logique de l’allégeance que l’on retrouve dans le communautarisme. Celui-ci impose littéralement le primat de la communauté particulière à la fois sur les individus et sur la communauté humaine universelle.


Risque de guerre entre communautés
D’un même mouvement, le souci de l’individu et celui de l’universel sont donc mis à mal. L’enfermement communautariste dans le particularisme religieux et coutumier nie l’individu, qu’il réduit à un échantillon anonyme, dans le moment même où il récuse toute référence universelle. Celle-ci consigne en effet dans les droits reconnus à tout être humain des libertés fondamentales qui transcendent la diversité des us et coutumes. Par exemple, le droit à l'intégrité physique conduit à condamner l'excision du clitoris, horrible mutilation physique, sexuelle et sensuelle.
Un autre exemple. « Tu trahis ta communauté » : telle est la condamnation menaçante par laquelle les islamistes refusent aux femmes la liberté de ne pas porter le voile. Tel est bien le communautarisme, qui exige l'allégeance voire l'effacement de toute singularité individuelle librement choisie. Avec, à la clef, le risque majeur d'affrontements intercommunautaires dès lors que l'appartenance prime absolument, sans distance aucune, sur la liberté de la personne. La montée des communautarismes ainsi compris porte donc en elle le danger de la guerre entre les communautés en même temps que celui de la négation de la liberté individuelle au nom de la fidélité au groupe.

Sacralisation du machisme
En quoi la laïcité est-elle concernée par ces rappels ? Perçue à tort comme une machine de guerre contre les religions, alors qu’elle assure leur égale liberté dans les limites du droit commun, elle est combattue par tous les moyens possibles, souvent hypocrites, au nom de cultures et d’identités collectives qui souvent sont mutuellement exclusives. Les communautarismes religieux se font entrepreneurs identitaires, au risque de ressusciter la guerre des Dieux. Il est grave en effet de convaincre les personnes que le fait de choisir librement ses références spirituelles et son mode d’accomplissement porte atteinte au groupe. C’est une version fanatique de l’identité, sans distance, que l’on donne ainsi.
Au nom de la culture et de la religion, le deuxième sexe subit la sacralisation de la domination machiste. Dans Tartuffe, le dévot intime l’ordre à Dorine de cacher son sein. Dans l’islamisme politique, la femme doit se voiler entièrement car sinon elle est rendue responsable du désir de l’homme, ainsi déchargé de sa responsabilité quand il ne maîtrise pas ce désir. Bref, la laïcité émancipe chacune et chacun au niveau le plus radical : celui de la libre définition de l'identité. Elle rend en effet possible le libre choix d'une façon d'être et de vivre en libérant la personne de toute aliénation à une vision du monde imposée, qu'elle soit religieuse ou idéologique. Ne demeurent plus alors que les droits fondamentaux des êtres humains, dans les limites qu'impose l'ordre public pour assurer leur coexistence. La liberté personnelle de se définir, et de choisir sa vie, voire sa mort, est la plus belle conquête de la laïcité, à rebours des oppressions traditionnelles

    Revue de presse des Zélés

    Ce Blog est destiné à faire partager certaines informations parues ou non dans la presse et qui ont marqué certains de nos membres

    Archives

    Mars 2024
    Août 2013
    Mars 2013
    Janvier 2013
    Octobre 2012
    Septembre 2012
    Juin 2012
    Avril 2012
    Mars 2012
    Février 2012
    Janvier 2012
    Décembre 2011

    Catégories

    Tous
    Grand Orient De France
    Livre
    Revue De Presse

    Flux RSS

Propulsé par Créez votre propre site Web à l'aide de modèles personnalisables.